Le traité sur l’Union de 1922 a servi comme loi fondamentale durant toute l’ère soviétique. Même si l’Union d’Etats indépendants qu’elle fût ne durera qu’un an (de fin 1922 à 1924) et le fait qu’elle fut rapidement remplacée par un État fédéral, la conception juridique de l’Union demeura celle d’une Union fondée sur un traité de droit international. Ce traité a d’ailleurs posé les grands principes gouvernants l’ensemble soviétique. Ainsi si on compile les Constitutions de 1924, 1936 et 1977, on retrouve une logique intégrative identique. Les outils utilisés par l’Union Soviétique dès 1922 sont les suivants :
Subsidiarité
Tous les documents constitutionnels soviétiques prévoient une forme de subsidiarité vu qu’ils commencent par une attribution des compétences entre celles accordées à l’Union et celles qui demeurent du ressort des Républiques dites “fédérées”. Cet élément est commun aux Fédérations telles qu’on les a toujours connu mais il est remarquable qu’ici, à l’image de l’Union Européenne, on a considéré dès le départ que l’Union était quelque chose de distinct des Etats souverains qui la composent et qu’elle ne tient ses compétences que de leur accord préalable exprimé via le traité d’Union de 1922.
Primauté
De même, tous les documents constitutionnels soviétiques prévoient expressément une primauté du droit de l’Union sur le droit des Républiques fédérées (le terme de “droit national” étant honni au vu de l’idéologie socialiste). C’est bien sûr le reflet inévitable de la hiérarchie des normes et d’un fonctionnement fédéral efficace de l’Union.
Régime linguistique
Si les deux premiers éléments sont communs à tous les Etats fédérés du monde, le régime linguistique est le premier élément de parallèle frappant entre l’Union Soviétique et l’Union Européenne. En effet, les documents constitutionnels soviétiques prévoient une traduction dans toutes les langues officielles des Républiques Fédérées des normes issues du droit de l’Union. De plus, la langue “locale” est protégée vu que le droit local était toujours édité d’abord dans la langue “locale”. D’ailleurs un des emblèmes de l’URSS portait l'inscription “Prolétaires du monde entier, unissez-vous", écrite dans les langues officielles de l’URSS (donc 15 langues en 1945). C’était un moyen pour l’Union de se présenter comme la grande défenseure des peuples et des cultures, tout en actant la fin de la domination russe sur les peuples.
Citoyenneté de l’Union
Autre élément intéressant : le régime de la citoyenneté de l’Union. Il s’agit en termes de droit international de la nationalité soviétique bien entendu mais le régime à l’intérieur de l’URSS était particulier car on parlait de “citoyenneté de l’Union” (la citoyenneté soviétique) et de “nationalité” (la nationalité de la République fédérée dont on dépend). Ainsi un ukrainien était, au sens du droit soviétique, un national ukrainien disposant de la citoyenneté sovietique du fait de sa nationalité d’un Etat-membre de l’Union. Cet élément avait donc vocation, comme dans l’Union Européenne, à donner des droits aux citoyens tout en créant un sentiment d'appartenance en commun à l’Union en tant que telle, pour dépasser les divisions nationales.
Interprétation du droit de l’Union
Cet élément est particulièrement intéressant car la Constitution de 1924 prévoit expressément un recours ouvert aux Cour Suprêmes des Républiques Fédérées pour demander une interprétation du droit de l’Union à la Cour Suprême de l’URSS. Il s’agit bien sûr ici d’une méthode d’intégration qui a fait ses preuves dans l’Union Européenne : l'interprétation unifiée du droit de l’Union. Si dans les traités européens il y a eu un recours à la question préjudicielle dans le cadre d’un litige existant, l’URSS a toutefois préféré une formulation plus vague au sein de laquelle le choix de demander une interprétation est laissée aux Cours Suprêmes des Républiques fédérées.
Règlement des litiges entre Etats-membres
Autre élément qui renforce l’idée de souveraineté des Etats c’est que des mécanismes de règlement des litiges entre les Etats-membres sont prévus par la Constitution de 1924. Ainsi tout litige entre Etats est réglé par la Cour Suprême de l’Union, habilitée à le faire par le traité d’Union et les Constitutions issues de ce traité.
Régime des Comités
Dernier élément à noter, la formation de l'exécutif de l’Union. Si, dans une conception très révolutionnaire, les pouvoirs législatifs et exécutifs sont détenus par le Congrès des députés du peuple, le pouvoir exécutif est dévolu à un Comité Exécutif Central entre les sessions annuelles du Congrès. Ce Comité est divisé entre un Conseil de l’Union qui représente la population de l’Union, et un Conseil des Nationalités qui représente les “Etats souverains” de l’Union. Pour qu’un projet de loi soit adopté, ou qu’une décision réglementaire soit prise, il faut qu’ils le soient par une adoption à la majorité absolue de chacun des Conseils. Ainsi l’Union a joué sur l’équilibre entre revendications nationales et en même temps une intégration plus poussée vers l’organe intégré qu’était le Conseil de l’Union.
Ainsi l’Union Soviétique peut être conceptualisée comme étant une incarnation du fonctionnalisme, car elle n’a des compétences que dans des objectifs précis voulus par les Etats-membres. Même si ceux-là jouent un rôle dans le processus décisionnel il faut remarquer que l’URSS n’a pas un caractère intergouvernemental : en effet, l’essentiel du pouvoir est censé être dans les mains du peuple représenté par le Congrès. Ainsi une forme de légitimité démocratique est donnée à l’Union, ce qui lui permet de se détacher de la volonté des Etats qu’elle va désormais encadrer.
En passant rapidement sur ces éléments, on ne peut donc qu’être surpris par ces éléments de comparaison entre l’URSS et l’Union Européenne. On pourrait même presque dire que l’URSS, par sa tentative d’intégrer des Etats nouvellement indépendants en une Union avant tout politique et internationale, et non pas une entité nationale monolithique, préfigure l’Union Européenne. Mais cette idée serait trompeuse car la nature véritable de l’Union Soviétique ne se trouve pas dans ces textes juridiques mais sa pratique du pouvoir : c’est-à-dire la domination absolue du Parti Communiste et la répression de masse menée par la Police d’Etat.
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